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Jamais Vialatte ne m’ennuie, par Jean-Lou Chifflet.

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Dans son Dictionnaire amoureux de l’humour (PLON), Jean-Lou Chifflet réserve une place de choix à Alexandre Vialatte. A lire ci-desssous, quelques extraits de son article.

 » Vialatte, que Desproges considérait comme l’un des écrivains « les plus doués de sa génération, voire du XXe siècle », est l’homme qui m’a le plus inspiré, celui pour lequel j’ai de la vénération et que j’ai toujours rêvé d’imiter, en vain.

Vialatte, (…) est la preuve incontestable que le nonsense n’est pas une exclusivité anglo-saxonne. Non, messieurs les Anglais, vous n’avez pas le monopole du nonsense ! Ce personnage bien français, auvergnat et amoureux de l’étrange et du saugrenu, est probablement l’un des meilleurs observateurs de son époque, tout en faisant croire qu’il n’y comprenait rien.

Ce fils de militaire dont les ancêtres étaient agriculteurs, originaires du hameau de la Vialatte près d’Ambert en Auvergne, est né en 1901. Jeunesse vagabonde au gré des lieux de garnison de son père, études « à la Dickens » dans un collège à Ambert avec un professeur «philosophe de spécialité et ivrogne de vocation ».  A seize ans, sous l’influence d’Henri Pourrat, son maître, il dévore Rimbaud, Francis Jammes et Dickens. Pourtant, il opte pour les mathématiques et la langue allemande, ce qui le mènera en Allemagne, à Mayence, en 1922, où il deviendra rédacteur en chef de la Revue rhénane jusqu’en 1927, et où il commet en quinze jours son premier roman, Battling le ténébreux, qui sera publié chez Gallimard avec la bénédiction de Paulhan et de Malraux. Suivront une douzaine d’autres romans dont Les Fruits du Congo et Le Fidèle Berger. Tra­ducteur de Nietzsche et de Thomas Mann, il fut aussi celui qui traduisit et fit connaître Kafka en France.

En 1933, sa femme Hélène est nommée à Paris pour diriger l’École des surintendantes d’usines. Ils s’installent en face de la prison de la Santé et Alexandre ne manque pas de tancer la devise de la République qui orne le portail de la maison d’ar­rêt « L’Égalité et la Fraternité règnent peut-être en ces murs, mais la Liberté passe devant ».

Il doit gagner sa vie, ses romans se vendent peu et ses traductions sont mal payées. Il se tourne alors vers le journalisme, mais pas n’importe lequel, le « journalisme d’écrivain ». C’est ce Vialatte-là et surtout celui-là, le chroniqueur de Paris Match, Le Spectacle du Monde, Adam, Arts ménagers, etc., qui va m’éblouir.

Ce Vialatte-là, qui, comme disait Yves Frémion, est « capable à propos de tout et de rien de sortir de superbes observations, ancêtre de tous les Barthes ou Morin, mais quand même plus drôle. Vialatte dispo­sait d’une sagesse exemplaire, absurde, ahurissante, le plus placidement du monde. Un style simple, limpide – si simple qu’on n’arrive pas à le refaire –, capable de faire saisir l’imparfait du subjonctif à un analphabète. Un ton unique. Reconnaissable entre mille. Profond et léger à la fois. La classe ».

« Chroniqueur », j’ai dit « chroniqueur » ? Parmi les genres littéraires français, la chronique est l’un des plus difficiles à définir. A priori, comme dit Ferny Besson, amie et biographe de Vialatte « la chronique n’a pas toujours la même signification et indique souvent une spécialité : chronique financière ou chronique mondaine. Les chroniques d’Alexandre Vialatte ont leur style propre. L’écrivain semble toujours, en apparence, y raconter n’importe quoi. Suprême politesse. En fait, sous des airs frivoles, il nous dit l’essentiel : l’homme, avec sa brouette, ses bouts de ficelle, ses rêves tellement démesurés au coeur de ses aventures fatalement – quoi qu’il fasse– tellement mesurées. Cependant, au-delà de ses étroites frontières, l’infini. L’éternité. Qu’il trouve où il peut : dans les spectacles quoti­diens ». Ferny Besson fait ici allusion, je pense, à sa chronique qui durera près de vingt ans dans La Montagne, et j’y reviendrai.

J’aimerais m’arrêter d’abord sur ses chroniques plus légères, comme celles publiées dans Marie-Claire, où ses almanachs drôlissimes rendaient son patron furieux, car il n’y comprenait goutte, ainsi ses fameux vrais-faux proverbes bantous :

- « Il n’y a pas de bas morceau dans le gros ethnologue ».
- « Qui rit sous l’okoumé pleure sous l’acajou ».
- « Ne pile pas ton mil avec une banane mûre ».
- « C’est se conduire en rékéké que d’étouffer le roukoukou dans sa coquille ».

Ou, toujours dans le même Marie-Claire, l’ho­roscope de ces dames :

« La femme Capricorne : Elle paie le beurre moins cher que les autres. Comme les hommes, elle adore le marbre et l’acajou, mais tout spécia­lement le marbre blanc légèrement persillé de gris-vert qui fait penser au fromage de brebis. Elle est fréquemment veuve d’un général allemand et fonde dans son grand âge des religions étranges, d’une grande précision folklorique ».

C’est pendant les dix-huit dernières années de sa vie que, tous les dimanches soir, Vialatte porte sa copie à la gare de Lyon et la dépose au wagon postal du train de 23 h 15. Ainsi, jusqu’en 1971, date de sa disparition, Alexandre (le grand) Vialatte a commis pour le grand quotidien auvergnat 898 textes dont le journal en a publié 888. Et de quoi parle-t-il semaine après semaine ? De tout et de rien : « Une chronique, il faudrait la faire pous­ser comme une herbe dans la fente d’un mur, dans les pierres de l’emploi du temps ».

Cet exercice de style particulier, qui demande acuité et concision, date de la plus haute antiquité, comme « l’homme, car l’homme remonte à la plus haute antiquité », selon lui.

Vialatte n’a jamais traité, et c’est tant mieux, des grands problèmes du monde, mais plutôt du homard ; il préférait le homard au chien parce qu’il n’aboie pas et « qu’il n’aspire à la cuisson que comme le chrétien au ciel ». Il disait du chien : « Ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, c’est le chien. » De l’ours : « L’ours est fidèle, monogame et bisan­nuel dans ses devoirs conjugaux. » Du kangourou : « Sans le kangourou, l’homme n’aurait jamais su qu’il ne possède pas de poche marsupiale. » De l’écrevisse : « La douleur embellit l’écrevisse », et de l’imparfait du subjonctif : « Que serait la vie sans l’imparfait du subjonctif… » ?

Les seuls titres de ses chroniques sont une invite à la lecture : « Magie de la bascule compensée », « Élasticité de la punaise », « L’Auvergnat est-il une mamelle ? »,

« Enfants cuits, enfants frits » « Grand-père danois en loterie », « Chien tournant autour du soleil », « Évidence du Gaïacum» « L’éléphant est irréfutable », « Progrès de la science : l’homme descendrait de l’homme », « Hitler et fleur en pot », « Dames à vapeur ou bateaux à voiles et voiles de vapeur »…

C’est une sorte de méli-mélo, une galerie de por­traits, une encyclopédie, ou, comme il le dit même, « un bric-à-brac oriental, un nœud de ficelles de toutes couleurs, un Luna Park, un marché aux puces, un palais des merveilles du Facteur Cheval »

Philippe Meyer, qui en a fait la lecture sur l’an­tenne de France Inter, écrit dans une préface « Alexandre Vialatte est un éveilleur, ceux qui fré­quentent ses livres ont l’œil. Ou plutôt, ils n’ont pas le même œil après avoir lu Vialatte et laissé mûrir en eux ses proverbes bantous, ses fulgurances arvernes, ses regrets des morts, ses miniatures des vivants, ses comptes rendus de lecture, ses médi­tations sur les ogres et ses considérations imprévi­sibles sur toute chose, grande, moyenne, ou petite ».

Lisez Vialatte, il n’a pas pris une ride, vous y trouverez aussi de bonnes recettes : « Pour faire l’ome­lette aux champignons, achetez une grande maison rustique exposée aux vents de la tempête, essayez-les champignons vénéneux sur un cousin pauvre avant de servir ». Des conseils pour enfoncer un clou sans s’abîmer les doigts : « J’achète donc une escalope et je continue à taper sur mon clou ». Des vérités premières que nous n’avions pas perçues : « Le cheval est beau, mais la pantoufle est grande », « L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau. » Et des évidences qui nous ont échappé :

Le temps perdu se rattrape toujours. Mais peut-on rattraper celui qu’on n’a pas perdu ? »

Jamais Vialatte ne m’ennuie. D’aucuns ont une bible sur leur table de nuit, moi c’est Vialatte, dont j’aime lire une chronique ou deux avant de m’endormir. J’aime sa façon de manier l’émotion sans pathos et de faire rire sans vulgarité. Qu’il nous entretienne de petits pois, de la brièveté de l’existence, de la beauté des Alpes-Maritimes, « le département des Alpes-Maritimes est peuplé d’Alpins-Maritimes », de l’état bien triste du foie et des bretelles de l’homme au milieu de sa vie ou de la nécessité de l’oryctérope, Vialatte s’affirme comme le maître de « l’incongruité et de la bizarrerie phénoménale ». Ce n’est pas moi qui le dis mais Amélie Nothomb, avec qui je partage au moins ce point de vue.

(…)

Ah ! j’oubliais, Vialatte terminait toujours ses chroniques par cette phrase : « Et c’est ainsi qu’Al­lah est grand ».

Puissent le Prophète et ses millions de fidèles ne pas oublier dans leurs soutras celui qui les a si bien célébrés pendant 898 jours.

In Le Dictionnaire amoureux de l’humour (Plon)


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